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Actualité / Sécurité routière

Reportage - Mobilité : La fin de l'impunité

Publié le 27 février 2018

En janvier dernier les règles de stationnement ont changé en France, avec la dépénalisation. Cela va créer un appel d'air pour les acteurs de la mobilité. En Espagne, Indigo a forgé son expérience. Nous avons embarqué dans un de leurs véhicules de co

Les "bips" s'enchaînent. Sur l'écran accroché à la planche de bord, côté passager, des chiffres et des lettres apparaissent et se succèdent. Ils coïncident avec les plaques d'immatriculation des véhicules stationnés sur les bords de la chaussée. Chaque "bip" correspond donc à un contrôle. Il peut s'en faire entendre plus de 1 500 par heure dans l'habitacle de la voiture de l'agent de régulation du stationnement.

Nous sommes à Madrid, aux abords du stade mythique Santiago Bernabeu. Un petit tour de dix minutes dans le quartier aura suffi pour repérer une dizaine de véhicules en situation irrégulière vis-à-vis des horodateurs. Quelques instants plus tard, ces informations géolocalisées, transmises à des agents satellites, piétons ou en deux-roues, aboutiront à l'émission d'une amende de stationnement, une fois la fraude constatée. Redoutable d'efficacité.

Ce mécanisme qui allie l'humain et la technologie, Madrid en profite depuis plusieurs années et la libéralisation du marché du stationnement. Parmi les prestataires de la capitale espagnole figure le groupe Indigo. Le français a développé en propre une plateforme de gestion des contrôles de véhicules, connectée à Mint, la plateforme intelligente de la Ville qui suit le recouvrement des sommes dues et les réclamations. Surtout, ce duo identifie les véhicules grâce l'intégration du fichier national des immatriculations.

Autre bénéfice : ce croisement rend possible la définition d'une grille tarifaire dans les rues de Madrid en fonction des motorisations et des émissions de gaz polluants, car il faut entrer son numéro de plaque avant de payer son ticket. Un VE bénéficie ainsi automatiquement de 100 % de remise à l'horodateur quand un conducteur d'hybride ne paie que 50 %, les voitures vertueuses profitant de 10 % de rabais, tandis que les plus pollueuses sont taxées à 25 %.

Taux de respect doublé

Les agents facturent très chèrement les entorses. Les Madrilènes payent jusqu'à 90 euros pour non-acquittement du coût de stationnement et même 200 euros si le contrevenant fait entrave à la circulation des autres usagers de la route ou des piétons (double file, places PMR, passage protégé…). Et pour améliorer la performance de ses équipes de surveillance, Indigo a ajouté deux véhicules équipés du système des caméras intelligentes ORC – similaire à celui des forces de l'ordre – en juillet et deux autres en fin d'année 2017, pour porter le total de sa flotte à huit unités, hors parc de scooters, eux aussi équipés. A 40 000 euros environ le dispositif par voiture, on mesure l'importance de l'investissement.

De telles mesures ont eu un réel effet. D'abord, celui d'augmenter le taux de respect, qui est passé de 45 à 85 % en dix ans, selon la direction locale d'Indigo, d'accroître le taux de rotation des véhicules, ensuite. La dépénalisation du stationnement se nourrit – en façade – de cette ambition. L'argumentaire tient souvent à des mots-clés qui font mouche. On parle de "fluidification du trafic" dans un contexte de politique de mobilité ou "d'augmentation de la fréquentation des commerces". Le postulat est simple : forcer le mouvement pour libérer de la place. Il n'existe aucune statistique officielle, mais on estime qu'une telle politique de stationnement peut faire retomber la part des véhicules en circulation à la recherche d'une place de 30 % à 10 %, d'après des analystes.

Si la communication a été quasi inexistante, il est une réalité : au 1er janvier 2018, la dépénalisation du stationnement est entrée en vigueur en France. Presque à la surprise générale. Lille, Lyon, Marseille, Bordeaux… toutes les villes pourraient ressembler assez rapidement à Madrid, en fonction des politiques locales, et instaurer des stratégies de délégation de service public ou de recours à un contrat de prestation. A l'image de Metz, certaines agglomérations avaient pris de l'avance sur les dossiers, en vue d'être opérationnelles au lendemain de la Saint-Sylvestre. Dans la préfecture de Moselle, Indigo a remporté le contrat de dépénalisation. Au total, le groupe revendique 50 contrats dépénalisés, sur les 154 qu'il gère en Europe. Ce potentiel dans l'Hexagone a forcé à la structuration.

Acte de naissance de Streeteo

Le 1er juin dernier, après six mois d'activité, la filiale Streeteo a été officialisée. Emmenée par Paul Coiffard, le directeur général, et Maxime Autran, son adjoint, la société a répondu à plusieurs appels d'offres, dont celui de la Ville de Paris, car elle représente désormais la compétence propre d'Indigo Infra en la matière.

Dans la capitale, trois lots d'arrondissements ont été définis pour un total de 140 000 places de stationnement, un de 60 000 et deux de 40 000 places. Outre Streeteo, Urbis Park (Transdev), Effia, M-Park et SAGS sont venus disputer le contrat. Ils l'ont fait ici, ils le feront ailleurs, car il faut occuper l'espace sur le marché naissant. Et ce sont les deux premières entités de la liste qui ont remporté la palme. Deux lots – le maximum autorisé – sont allés à Streeteo (les arrondissements 1 à 7, 11 à 16, et le 20e, soit 97 000 places) et un à Urbis Park (les 8e, 9e, 10e, 17e, 18e, et 19e arrondissements). "La Ville conserve la gestion des horodateurs et des moyens de paiements. L'opérateur viendra se connecter pour assurer le contrôle", soulignent les dirigeants de Streeteo.

C'est sur ce point précis qu'ils seront rémunérés et non sur un intéressement au chiffre d'affaires, le cas échéant. Mais le modèle économique sait se montrer flexible. "A Paris, nous n'aurions pas d'obligation de moyen, mais de résultat. En zone mixte, il faudra effectuer quotidiennement un contrôle par place. En zone résidentielle, ce sera deux contrôles hebdomadaires par place", dévoile Paul Coiffard. Pour mémoire, le taux de respect est à ce jour estimé à 10-15 % en intramuros (contre plus de 75 % dans d'autres villes de France). Dans ce contexte, le manque à gagner pour la Mairie est évident.

Les cadences industrielles des voitures à lecture automatique de plaques d'immatriculation (LAPI) seront pondérées. Leur tâche étant considérée comme des pré-contrôles, il en faudra 10 pour valoir un vrai contrôle, au regard du contrat.

Plus que des agents, des ambassadeurs

Ce qui va conduire Streeteo à recruter 150 agents au moins et à constituer une flotte de 8 voitures LAPI (des Renault Zoé) et d'une trentaine de scooters Eccity. Toutes les pistes sont ouvertes. Les agents de surveillance de la voie publique (ASVP) de la Ville de Paris pourraient être détachés. Sinon, il s'agira de personnes extérieures. Chez Streeteo, un rapide calcul des co-dirigeants évalue le ratio à 1 agent pour 300 à 500 places, en fonction du bagage technologique qui l'accompagne. "Nous voulons former des ambassadeurs, entrevoit Paul Coiffard, ils auront une mission d'aide au stationnement pour améliorer l'expérience." Dans un argumentaire qui flirte avec la démagogie, on sous-entend chez Streeteo vouloir changer les paradigmes, de sorte à rendre ludique cette étape d'un voyage.

La start-up mise sur la construction d'un écosystème de partenaires. Elle profitera notamment de l'apport d'OPnGo, spécialiste du paiement, sur qui le groupe Indigo a parié et avec qui la collaboration vient de s'étendre à la Ville de Deauville (14). "Nous voulons développer des outils prédictifs capables de guider de manière intelligente les conducteurs vers des zones de stationnement pertinentes", explique Maxime Autran, avec l'idée de devenir, à la marge, un observatoire des comportements. A ce titre, Indigo est entré au capital de Polly, une société spécialisée israélienne, il y a quelques semaines.

La filiale d'Indigo Infra imagine des passerelles avec des instituts de suivi de la qualité de l'air. Là, en découleraient des algorithmes chargés d'adapter les tarifs en temps réel, en fonction des conditions. Etant donné qu'à Madrid, ce n'est pas encore appliqué de manière formelle, Paris prendrait un coup d'avance. Comme avec la circulation alternée, que la capitale espagnole a instaurée pour la première fois à Noël dernier. Aux mêmes maux, les mêmes remèdes. Et les "bips" de contrôle ont de l'avenir devant eux dans nos cités hexagonales.

Légendes

Direction : Paul Coiffard, le directeur général, et Maxime Autran, son adjoint.
Lapi : Coiffée d'un système de caméras sophistiqué, le véhicule LAPI contrôle et transmet la position géographique des fraudeurs.
Bornes : Les bornes intelligentes vont devenir des références, ouvrant la voie à un nouveau moyen de communication avec les automobilistes.

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