Indigo, ce gestionnaire de parking devenu opérateur de free-floating
Publié le 20 novembre 2018
Acteur historique des parkings souterrains, le groupe Indigo multiplie les investissements à la marge. C'est ainsi qu'il a fondé Indigo Weel, une filiale dédiée à la mobilité partagée qui regorge d'idées novatrices.
Rien n'était plus immobile qu'un parking. Rien de plus en mouvement désormais. A mesure que le taux d'équipement automobile des Français a évolué et avec lui les besoins des conducteurs, les aires de stationnement ont su se transformer et bien souvent saisir les nouvelles opportunités. De l'ajout de services au véhicule jusqu'à la digitalisation du parcours client, en passant par l'émergence des voituriers et les start-up chargées, l'expérience n'a cessé de s'enrichir. Mais dans l'absolu, elle reste suspendue à la consommation des conducteurs, à leur volonté de franchir les barrières automatiques d'entrée. "Depuis les années 60, nous construisons des parkings. Nous savons que la voiture va perdurer, mais son mode d'utilisation et sa motorisation vont évoluer, entre le partage, la consommation à la demande et l'électrification. Nous ne pouvons rester les bras croisés face à ses mutations", analyse en profondeur l'activité, Jean Gadrat, le directeur général d'Indigo Weel, la filiale née de l'ambition du groupe international de diversifier les sources de revenus de ses ouvrages publics.
On est en 2011. Indigo veut disputer la partie aux opérateurs de vélos partagés, sentant que les populations dans les agglomérations aspirent à une autre solution de déplacements intra-urbains. Souvenons-nous, à cette époque, Paris totalise déjà 26 millions de trajets en Velib' par an, tandis qu'une ville comme Lyon a vu son trafic de cycliste se multiplier par plus de 3 en huit ans. "Cela n'a pas fonctionné car les gens ne descendaient pas dans les parkings pour les louer", raconte Jean Gadrat. Indigo accepte l'échec, mais ne renonce pas à son projet. Il faudra plusieurs itérations avant de voir revenir le groupe sur le devant de la scène. Profitant de la tenue du salon Autonomy, en octobre 2017, Indigo présente une nouvelle approche. Le groupe a alors décidé de sortir des parkings, pour proposer son service dans la rue, sans toutefois abandonner l'idée de mettre ultérieurement à profit ses actifs en souterrain. "Nous avons démarré à Metz, en décembre 2017. Ensuite, nous avons investi six villes dont Tours, Bordeaux, Lyon, Toulouse, Angers et Grenoble, soit des profils variés", énumère le directeur de la filiale.
La solution chinoise
Un an et 400 000 locations effectuées plus tard, la stratégie s'est affirmée. Indigo s'ouvre à la mobilité électrique avec pour leitmotiv d'élargir la gamme de véhicules. Le vélo puis le scooter et depuis peu la voiture en attendant la trottinette, tout s'explore dans la vision d'Indigo. La pondération règne cependant en maître-mot. "Nous refusons de fonctionner comme les opérateurs chinois qui débarquent sans crier gare, insiste Jean Gadrat. Nous collaborons avec les villes, nous signons des chartes de bonne conduite, nous leur laissons la supervision des projets… Tout cela, nous le devons à notre expérience de gestionnaire de contrat de délégation de service public (DSP). Et les résultats sont là puisque nous avons été accueillis avec bienveillance dans les sept villes que nous couvrons. Grenoble a été jusqu'à nous proposer un contrat d'exclusivité de 24 mois pour le free-floating ".
Mais il reconnait s'être inspiré des Chinois. Il a trouvé dans l'Empire du milieu et à Taiwan des alliés stratégiques pour mener sa bataille commerciale dans les rues de l'Hexagone. En effet, Indigo Weel a signé des accords de production avec des constructeurs asiatiques qui fourniront les flottes de scooter et de voitures biplaces électriques. Des contrats que les Européens montraient des difficultés à honorer. Et le directeur général d'éclairer sur le sujet : "Les grands constructeurs historiques, un peu dogmatiques, sont désormais concurrencés par des asiatiques qui placent la notion du client-roi au-dessus de tout. L'exploitant en bout de chaine fait remonter l'information pour influencer la conception du véhicule. Ce qui est une vision intéressante de la collaboration". En s'engageant sur un volume minimal qui rend le projet viable, le groupe français a obtenu de pouvoir dicter son cahier des charges. Un paramètre clé sans la maîtrise duquel le modèle économique d'Indigo Weel ne tient plus.
Et pour cause, avant d'aborder le volet de la production, la filiale a contacté une entreprise française installée en Chine qui lui a dessiné une batterie très spécifique. Un bloc qui présente la particularité de pouvoir être embarqué dans différentes positions sur les véhicules. Le plan technique dans sa mallette, Jean Gadrat a démarché les constructeurs potentiels en leur posant pour condition de concevoir un véhicule qui prévoit un logement pour sa batterie. Elle devient ainsi universelle. "Nous avons réduit les investissements en concevant un type unique de batterie. C'est-à-dire que nous avons imaginé un modèle standardisé, tant en termes de performance que de gabarit. Elle sert ainsi à tous nos véhicules, confirme le dirigeant. Le vélo électrique comme la trottinette n'en nécessite qu'une, le scooter en embarquera deux, voire plus en fonction de la puissance. Il en faudra six pour la voiture que nous présentons". Les avantages sont variés, au moment de passer à grande échelle car outre l'effet de volume, Indigo Weel s'assure une unité matérielle, sur des produits appelés à vivre 5 à 7 ans ou 800 charges. Ce qui ouvre une autre possibilité. Et là ressurgit l'intérêt des parkings.
Une armoire de recharge
Le groupe peut effectivement mettre à contribution ses infrastructures pour ses besoins logistiques. Sur son stand à Autonomy, cette année, Indigo Weel dévoilait un concept d'armoire, elle aussi dessinée pour s'adapter aux critères de la batterie et ainsi faire office de borne de recharge. En pratique, il suffira d'intervertir les accumulateurs vides contre des pleins, selon la technique dite du "swap". Légères et amovibles, ces armoires pourraient se déployer dans les tous les parkings, près des espaces réservés aux véhicules partagés. Un atout qu'Indigo Weel veut faire valoir auprès des mairies, estimant que cela réduit drastiquement les investissements à réaliser en voirie. Un signal envoyé tout droit aux grandes métropoles, dont Paris. Mais la filiale dirigée par Jean Gradat n'ira pas frapper tout de suite à la porte d'Anne Hidalgo. La voiture doit encore effectuer ses premiers tours de roues sur notre sol, se familiariser avec le public, avant de prétendre à plus. "La stratégie sera celle du contournement, atteste le directeur général. Nous allons tester notre service automobile dans des villes intermédiaires pour apprendre et ensuite, nous investirons la Capitale, planifie-t-il. Nous sentons que ce marché mérite une approche intelligente au risque de s'exposer à une situation non profitable, comme certains".
Peu de recours à des prestations extérieures. Indigo Weel a la conviction que la majeure partie des équipes logistiques doit être salariée par souci de culture d'entreprise, dans un contexte de marché naissant de donc de nouveaux métiers à maîtriser. Toutefois, la filiale d'Indigo prévoit de proposer des offres capables d'impliquer les particuliers dans la chaine logistique. Ce qu'on peut rapprocher des opérateurs qui rémunèrent les volontaires qui chargent les trottinettes chez eux la nuit. Quelqu'un qui fait l'effort de descendre au parking effectuer le "swap" obtiendra un avantage direct.
Tout passera par l'application éditée par SharingOS qui regroupe l'ensemble du panel mis en service par Indigo Weel et qui repose sur une plateforme à laquelle les villes ont accès. Par cette interface, les mairies décideront des zones accessibles et des lieux de stationnement autorisés. Une barrière contre les incivilités en soit. "Notre application va tenter de répondre aux problématiques de liens entre les différentes solutions, mais il reste un point sensible : la désintermédiation". Par ces mots, Jean Gadrat témoigne de ses inquiétudes vis-à-vis du MaaS (mobility-as-a-service). Il craint un déséquilibre entre ceux qui "investissent des sommes conséquentes pour installer un service" et ceux qui en tireront la valeur commerciale. "J'ai du mal encore à voir comment conserver la motivation à développer mon activité si finalement je suis réduis à l'état de fournisseur de matériel, résume-t-il. L'idée est belle et a le mérite de consolider une offre appelée à devenir pléthorique, mais il faudra une réglementation qui attribuera des licences d'exclusivité de courts termes afin d'avoir de la visibilité sur les modèles économiques".
En dépit de la pression croissante des mairies et des éditeurs de plateformes, cette étape est encore loin, convenons-en. Indigo Weel a d'autres priorités. Celles de conquérir des territoires, en France et en Europe. Peut-être sera-ce bientôt à nouveau le cas, en Belgique, où la ville de Malines, entre Bruxelles et Anvers, a lancé un appel d'offres concernant des vélos partagés. Le dossier a attiré les prétendants avec sa promesse de subvention publique. En plus de ce que paiera l'utilisateur pour une course de 30 minutes, soit 50 centimes d'euros, les exploitants toucheront 42 centimes de subvention, soit de quoi les faire vivre dans une ville à la densité trop faible et à la météo peu favorable en hiver.
Jean Gradat
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